David Moreno : dans les villages suspendus
Illustrateur et sculpteur barcelonais, David Moreno présente son premier solo show à la galerie Danysz. L’occasion d’embarquer dans des constructions-sculptures flottantes qui ne sont autres que les reflets de nos propres rapports à notre habitat, à notre histoire et surtout aux autres.
L’architecture, c’est le plus souvent les racines, l’ancrage à la terre. Pourquoi tes architectures sont-elles en suspension ?
J’aime imaginer que l’on pourrait construire des villages ou des sociétés flottants. On pourrait relier les uns aux autres en passant par les portes imaginaires d’un lieu qui ne serait pas connecté à la terre, mais où l’on pourrait vivre. À Hong Kong, j’ai été fasciné et inspiré par les échafaudages en bambou, vertigineux et si légers. Cependant, je suis plus attiré par l’idée de petite communauté, car chacune a sa propre histoire.
Tes sculptures oniriques figurent des maisons souvent groupées, des escaliers parfois impossibles. As-tu pensé vivre dans ces espaces ?
J’y ai pensé car j’ai eu la surprise d’être contacté sur Instagram par des étudiants en architecture. Ils demandaient l’autorisation de se référer à mon travail pour dessiner des espaces inspirés de mes œuvres. Je me suis alors demandé comment j’y vivrais ; je trouve ces maisons à la fois agréables et très agressives, à cause des piques ; mais j’aime l’idée que ces habitations soient connectées entre elles.
Par quel chemin es-tu arrivé à ces maisons ?
Je travaillais dans la scénographie. Beaucoup pensent que je suis architecte, mais je suis illustrateur et sculpteur. Disons que je m’intéresse au volume.
J’ai commencé des sculptures en fil il y a quinze ans par hasard pendant mon temps libre. Elles étaient trop fragiles et je suis passé au fil de fer et à la corde de piano. Quant à la maison, cela m’est venu devant un croquis : je me suis demandé comment je pouvais rendre ces deux maisons en volume. J’ai cherché la forme synthétique la plus simple pour représenter l’habitat : des murs, un toit, une porte, parfois une cheminée.
Pour ma première maison, à l’occasion d’un concours en Catalogne, j’ai soudé des tiges en métal. Une pièce énorme, un échec total, qu’on m’a rendue en morceaux car les soudures à l’étain ne tenaient pas ! J’utilise désormais de la soudure à base d’argent, beaucoup plus résistante, utilisée aussi en joaillerie.
Justement, comment t’y prends-tu techniquement ?
D’abord, avec une esquisse par ordinateur en 3D, parfois avec des dessins à la main. Quand je vois que ça fonctionne, même s’il est impossible de matérialiser un dessin à l’identique, je passe à la réalisation. Je peux aussi développer une première idée en construisant des structures standard, des modules, indépendamment de la forme que prendra la composition finale et du nombre de maisons à assembler. Ce processus assez mécanique, qui permet de construire l’histoire à raconter, m’a été inspiré par Antony Gormley.
Je coupe des tiges en métal de différents diamètres pour figurer les différences d’intensité du trait, puis je les assemble au chalumeau. Un point, une soudure. C’est comme un long rituel et je travaille plusieurs œuvres en même temps, surtout si elles sont plus complexes. Je les regarde pour décider d’incorporer des modules à l’une ou à l’autre. Une fois nettoyées et peintes, elles sont finalisées. Ce que je préfère, c’est la phase du devenir, de montage et de soudure.
Et derrière les maisons ? C’est une histoire d’aller-retour entre technique poussée et légèreté poétique, force et fragilité, 2D et 3D, dessin et sculpture, terre et ciel et entre les êtres humains, non ?
Dans le mille ! Tu associes technique et poétique, et en effet, je pourrais tout découper au laser, mais toutes les lignes seraient parallèles et parfaites. Ce qui m’intéresse est d’évoquer l’imperfection d’un croquis. Je veux tout réaliser à la main, or je ne peux pas lutter contre la matière. Les soudures irrégulières donnent leur caractère à chaque pièce.
Quant au lien avec les hommes, un jour quelqu’un m’a dit aimer mon travail parce que mes maisons lui rappellent celle de son enfance. Quoi qu’il en soit, il s’y passe toujours quelque chose. Dans Conexión de Catedral, un escalier reliait deux portes. Un peu comme les chemins que nous parcourons sans cesse dans un sens et dans l’autre.
Tu as parlé d’une certaine agressivité due aux piques. Le choix des couleurs contrebalance cette impression ?
Oui. Je ne cherche pas à être grave. D’ailleurs, le noir et le blanc ne sont pas forcément sombres : ils fonctionnent très bien pour ce rendu à la manière d’un croquis que je recherche et apportent un aspect poétique.
Mais, depuis, j’ai découvert le fascinant Felipe Pantone à la galerie Danysz. Cela explique sans doute que j’utilise dorénavant plus de couleurs. Je commence aussi à intégrer des dégradés, toujours pour affirmer l’évocation d’un trait plus ou moins appuyé sur le papier, qui, sur le mur, donnent ce rendu qui apparaît puis s’efface par endroits.
Tu dois connaître Les Villes invisibles ? La poésie de ce livre t’a-t-elle inspiré ?
Oui, Italo Calvino ! Quand j’ai commencé la sculpture, mon professeur m’a donné un exercice basé sur ce livre en me disant qu’il me plairait. Mais moi, ce que j’aimais à ce moment-là, c’était modeler la terre et j’étais dans l’hyperréalisme, un langage bien différent.
Cela dit, les gens me parlent souvent de ce livre, alors je me dis que l’on absorbe tout et qu’un jour les influences ressortent, même inconsciemment. Avec le recul, je m’aperçois que certaines pièces sont la conséquence de travaux initiés bien avant.
Ces maisons te ressemblent-elles ?
Elles sont souvent influencées par mon état d’esprit du moment. J’ai quitté Barcelone pour vivre à Rotterdam avec ma compagne. Je ne sais pas si je vais revenir, si je pars pour le meilleur ou pour le pire. Cela a donné Subir o bajar, avec cet escalier infini, et Juntos, deux maisons côte à côte. J’ai intitulé une autre pièce Lo mío es tuyo y lo tuyo es mío (Ce qui est à moi est à toi et ce qui est à toi est à moi), c’est très lié à mon vécu.
La galerie Danysz traite beaucoup d’urbanité, plus largement de notre modernité. Comment ton environnement t’influence-t-il ?
J’ai hâte de voir comment ma nouvelle vie à Rotterdam va influencer mon travail, car c’est totalement différent de Barcelone. L’espace, la lumière, les grandes fenêtres, la mobilité à vélo… Mais plus que la ville, je veux voir comment mon nouvel habitat, qui est à l’opposé de l’ancien, va nourrir mon travail. En Espagne, je vivais au-dessus de mon atelier, c’était petit, et j’ai toujours pensé qu’inconsciemment une voix me poussait à changer de maison… pour me rendre compte. C’est sans doute pour ça que je fais ces maisons.
Propos recueillis par Dorothée Saillard
Danysz gallery : www.danyszgallery.com
Instagram : @danyszgallery
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